EMMET GOWIN
Rétrospective

Du 14 mai au 27 juillet 2014 à la Fondation.

La Fondation Henri Cartier-Bresson consacre une rétrospective au photographe américain Emmet Gowin, grand portraitiste  de l'intime et du paysage, qui depuis cinquante ans prend pour modèle son épouse Edith. Un kaléidoscope bouleversant.

C'est dans l'une des expositions inaugurales du BAL, Cinq étranges albums de famille, que l'on a découvert il y a trois ans les images d'Emmet Gowin. Ce photographe américain est né en 1941 dans la petite ville de Danville, en Virginie, surnommée « city of churches » en raison de la densité d'églises qui y sont bâties au kilomètre carré. Il grandit sur l'île de Chincoteague, au large de la Virginie, auprès d'un père pasteur aux principes très rigoureux, et d'une mère musicienne. L'île adjacente d'Assateague est célèbre pour la race de poneys « chincoteague » qui y vit à l'état sauvage et dont l'origine est controversée : survivants du naufrage d'une flotte espagnole, ou abandonnés par des colons. Chaque année y est organisé le « Pony Penning », sorte de transhumance lors de laquelle des centaines de bêtes traversent à la nage le détroit qui sépare Assateague de Chincoteague. Emmet Gowin débute la photographie au début des années 1960, suivant les traces de Cartier-Bresson, Robert Frank et Walker Evans. Il commence à prendre en photo ce qu'il a sous les yeux, les éléments de son quotidien dans leur simplicité brute : scènes de parcs, enfants jouant, paysages urbains... et Edith.
Emmet Gowin épouse Edith Morris en 1964, et n'a cessé de la photographier depuis. Le photographe découvre alors une famille soudée autour de son épouse, notamment ses sœurs avec lesquelles elle forme un trio inséparable. Le nœud familial va devenir, dans les décennies 1960-1970, le sujet de prédilection d'Emmet Gowin, avant qu'il ne déporte son attention vers les paysages d'Europe et d'Amérique dénaturés par l'homme.
Edith, que l'on ne voit jamais sourire, apparaît la plupart du temps de manière frontale, le visage dur et le corps sec, le regard vide surmonté de sourcils têtus – sauf peut-être dans cette photo qui date de l'année précédent leur mariage, où elle émerge le visage barré de l'ombre légère d'une brindille, tel un ornement végétal soulignant ce profil de fée. Malgré une mine inexpressive, on la voit volontiers se prêter au jeu du modèle : posant enceinte et nue dans une rivière, remontant sa blouse et ouvrant les jambes pour laisser jaillir sur le sol de la maison un jet d'urine, déboutonnant sa chemise pour montrer ses seins à l'insu d'une aïeule. De dos, de face et de profil, jeune, vieille, belle, froide. Parfois un enfant est à ses côtés, parfois une sœur, un papillon, leur maison. Souvent Edith est placée dans un cadre naturel quasi vierge qui fait d'elle une sorte de nymphe moderne.
Ainsi voit-on sur une période de près d'un demi-siècle vieillir Edith Gowin dans ses rôles de mère, d'épouse, d'amante, de fille, de sœur. Une formidable complicité s'établit entre le photographe et son modèle, dans un face-à-face d'une franchise poignante. Mais si certaines photos de famille donnent envie de se glisser dans ce quotidien idyllique de Danville, d'autres glacent le sang par leur objectivité crue, comme celle où on la voit, lointaine, dans un living-room envahi par les papiers épars des cadeaux de Noël. Une forme de tendresse brutale, presque animale, se dégage de chaque image et magnétise le regard, tandis que le visage du photographe est rarement visible. On se prend alors à chercher en vain dans les yeux d'Edith le regard d'Emmet, libre et sauvage comme les poneys de Chincoteague.